Ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole Ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité Ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel
Mais ils savent en ses moindres recoins le pays de souffrance Ceux qui n’ont connu de voyages que de déracinements Ceux qui se sont assouplis aux agenouillements Ceux qu’on domestiqua et christianisa Ceux qu’on inocula d’abâtardissement Tam-tams de mains vides Tam-tams inanes de plaies sonores Tam-tams burlesques de trahison tabide
Tiède petit matin de chaleurs et de peurs ancestrales
Par-dessus bord mes richesses pérégrines Par-dessus bord mes faussetés authentiques
Mais quel étrange orgueil tout soudain m’illumine ?
Aimé Césaire – Ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole
Musique : Camille Soprann Hildevert – Soprann aux Antilles
Je n’ai pas besoin des sermons des moralistes professionnels pour me dicter ma conduite. Je n’ai certainement pas besoin d’un Dieu pour cela. Je suis parfaitement capable de mener une existence morale sans en attribuer le mérite à des croyances impossibles à prouver, défiant la raison, des croyances qui, pour moi, ne sont rien de plus que des contes de fées pour enfants auxquels adhèrent les adultes et qui ne sont pas plus fondées, en réalité, que le fait de croire au Père Noël. (…) Bertrand Russell, l’éminent mathématicien et philosophe anglais, a été l’année dernière lauréat du prix Nobel de littérature. L’un de ses ouvrages pour lesquels on lui a attribué le prix Nobel est un essai de grande diffusion écrit à partir d’une conférence faite en 1927, intitulée “Pourquoi je ne suis pas chrétien” (…) Cet essai, ainsi que d’autres du même genre, contient les arguments de Russell non seulement contre la conception chrétienne de Dieu, mais contre celles que professent toutes les grandes religions du monde, que Russell trouve tout à la fois erronées et dangereuses. Si vous lisiez son essai —et au nom de l’ouverture d’esprit, je vous conjure de le faire— vous vous apercevriez que Bertrand Russell, l’un des logiciens les plus réputés du monde, en plus d’être philosophe et mathématicien, réfute avec une logique indiscutable l’argument de la cause première, l’argument de la loi naturelle, l’argument du dessein intelligent, les arguments moraux en faveur d’une divinité, et l’argument du remède à l’injustice.
Philip Roth – Indignation, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Claire Pasquier, Folio, Paris, 2012.
Je suis fragile, j’aimerai trouver quelqu’un qui a la même fragilité que moi … et on est alors dans un rapport égal à égal … Moi je reste fragile, toute la création c’est vraiment un portrait de soi avec force et fragilité
« Dans les conditions de vie accablantes qui pèsent sur nous, les gens ne demandent pas la lucidité, ils demandent un opium quelconque, et cela, plus ou moins, dans tous les milieux sociaux. Si on ne veut pas renoncer à penser, on n’a qu’à accepter la solitude. Pour moi, je n’ai d’autre espérance que de rencontrer çà et là, de temps à autre, un être humain, seul comme moi-même, qui de son côté s’obstine à réfléchir, à qui je puisse apporter et auprès de qui je puisse trouver un peu de compréhension. Jusqu’à nouvel ordre de pareilles rencontres restent possibles — la preuve en est que nous nous écrivons — et c’est un bonheur extraordinaire, dont il faut être reconnaissant au destin. Qui sait si un de ces jours un régime « totalitaire » ne viendra pas pour un temps supprimer presque entièrement la possibilité matérielle de telles rencontres ? »
Source : Simone Weil, lettre n°2 à Jacques Lafitte du 14 avril 1936
ll faut être toujours ivre, tout est là ; c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous!
Et si quelquefois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge; à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est.
Et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront, il est l’heure de s’enivrer ; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise.