Je te donnais des choses à lire

Je te donnais des choses à lire : de la poésie, des romans, des essais. Avec quelle bonne grâce tu les dévorais ! Tu lisais Trilling dans le bus en te rendant à ton travail, Conrad dans les heures calmes de la soirée et Yeats le dimanche matin pendant que je descendais acheter le Times. Mais rien ne semblait vraiment adhérer à toi. J’ai l’impression que tu avais du mal à distinguer Lord Jim de Lucky Jim, Malcolm Lowry de Malcolm Cowley, James Joyce de Joyce Kilmer. Ton intelligence, si capable de maîtriser le cobol et le Fortran, avait du mal à déchiffrer le langage de la poésie, et tu levais les yeux de The Waste Land, étonnée, pour poser une question naïve de collégienne qui me laissait ensuite irrité pour plusieurs heures. J’avais l’impression, parfois, que c’était sans espoir. Mais un jour où la bourse était fermée, tu m’as emmené avec toi au centre d’informatique où tu étais employée, et tes explications sur les machines avec lesquelles tu travaillais étaient du sanscrit pour moi. Des mondes différents, des tournures d’esprit différentes. Et pourtant, j’avais toujours l’espoir d’arriver à créer un pont.

L’oreille interne : Robert Silverberg

Musique : Beta Gamma l’ordinateur par Henri Salvador

Ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole

Ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole
Ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité
Ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel

Mais ils savent en ses moindres recoins le pays de souffrance
Ceux qui n’ont connu de voyages que de déracinements
Ceux qui se sont assouplis aux agenouillements
Ceux qu’on domestiqua et christianisa
Ceux qu’on inocula d’abâtardissement
Tam-tams de mains vides
Tam-tams inanes de plaies sonores
Tam-tams burlesques de trahison tabide

Tiède petit matin de chaleurs et de peurs ancestrales

Par-dessus bord mes richesses pérégrines
Par-dessus bord mes faussetés authentiques

Mais quel étrange orgueil tout soudain m’illumine ?

Aimé Césaire – Ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole

Musique : Camille Soprann Hildevert – Soprann aux Antilles

Don’t pray for me

Je n’ai pas besoin des sermons des moralistes professionnels pour me dicter ma conduite. Je n’ai certainement pas besoin d’un Dieu pour cela. Je suis parfaitement capable de mener une existence morale sans en attribuer le mérite à des croyances impossibles à prouver, défiant la raison, des croyances qui, pour moi, ne sont rien de plus que des contes de fées pour enfants auxquels adhèrent les adultes et qui ne sont pas plus fondées, en réalité, que le fait de croire au Père Noël. (…) Bertrand Russell, l’éminent mathématicien et philosophe anglais, a été l’année dernière lauréat du prix Nobel de littérature. L’un de ses ouvrages pour lesquels on lui a attribué le prix Nobel est un essai de grande diffusion écrit à partir d’une conférence faite en 1927, intitulée “Pourquoi je ne suis pas chrétien” (…) Cet essai, ainsi que d’autres du même genre, contient les arguments de Russell non seulement contre la conception chrétienne de Dieu, mais contre celles que professent toutes les grandes religions du monde, que Russell trouve tout à la fois erronées et dangereuses. Si vous lisiez son essai —et au nom de l’ouverture d’esprit, je vous conjure de le faire— vous vous apercevriez que Bertrand Russell, l’un des logiciens les plus réputés du monde, en plus d’être philosophe et mathématicien, réfute avec une logique indiscutable l’argument de la cause première, l’argument de la loi naturelle, l’argument du dessein intelligent, les arguments moraux en faveur d’une divinité, et l’argument du remède à l’injustice.

Philip RothIndignation, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Claire Pasquier, Folio, Paris, 2012.

Source https://www.monde-diplomatique.fr/mav/145/ROTH/54571

Musique : Linda Tillery – Don’t Pray for Me

J’aime les gens qui passent – Moitié dans leurs godasses – Et moitié à côté

Je suis fragile, j’aimerai trouver quelqu’un qui a la même fragilité que moi … et on est alors dans un rapport égal à égal … Moi je reste fragile, toute la création c’est vraiment un portrait de soi avec force et fragilité 

https://simpsoncenter.org/programs/lecture-1-abderrahmane-sissako

Abderrahmane Sissako

Musique Les gens qui doutent – Anne Sylvestre

Vous reprendrez bien une part de tarte?

J’étais tranquillement en train de siroter un verre de vin blanc en terrasse, quand j’entends le mot « portugais » à la table voisine.
Je décide de tendre l’oreille par curiosité. Trois femmes, je ne sais pas quel âge leur donner, entre 25 et 30 ans disons. L’une d’elle dit qu’elle est allé au Portugal et semble vouloir contredire les deux autres.
L’une des deux autres dit « Ouais, mais les portugais, ils bossent tous sur les chantiers », l’autre ajoute « Ils mangent de la tarte aux poils ».
Je me suis retournée, les ai regardé et j’ai simplement dit en souriant « je suis portugaise ».
Madame tarte au poil me répond en désignant sa copine « elle, elle a défendu les portugais » histoire de se dédouaner un peu.
Je n’ai rien dit, je suis retourné à mon verre.
Des « parisiennes » attablées à Opéra qui peut-être auraient embrayées sur leur concierge si utile au quotidien.
Le mépris ordinaire.
On m’a déjà rétorqué que leur répondre c’était leur accorder de l’importance, que je devais être fière de mes origines mais je ne suis pas d’accord.
Je continuerai à leur mettre le nez devant leur caca.
Parce que c’est pas de la blague sympatoche, du préjugé au rabais, c’est juste du caca. Ça sent mauvais, c’est pas comestible.

Mise à jour du 17/06/2020
Pour aller plus loin, voici un article sur la question de la pilosité de l’universitaire Irène Pereira : https://iresmo.jimdofree.com/2017/03/28/le-portugais-le-chainon-manquant-dans-l-imaginaire-racialiste-en-france/